Alors que Sarah El Haïry, ministre en charge de l’enfance et des familles, vient de lancer une mission de contrôle des grands groupes de crèches par l’inspection générale des affaires sociales (voir l’encadré à notre article du 25 mars 2024), la commission d’enquête sur le modèle économique des crèches et sur la qualité de l’accueil des jeunes enfants de l’Assemblée nationale s’est penchée, le 26 mars 2024, sur le contrôle des établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE) exercé par les services de protection maternelle et infantile (PMI).
La multiplication des petites structures : une gageure pour le contrôle
Lors de leur audition, des représentants du Syndicat national des médecins de protection maternelle et infantile (SNMPMI) ont décrit les trois configurations dans lesquelles la PMI exerce un contrôle : lors de la création ou de la modification d’un établissement (pour l’obtention de l’agrément), en cas de dénonciation de faits problématiques par un parent ou un professionnel (le contrôle est alors inopiné puis fait l’objet d’un suivi) et des visites programmées de contrôle ("tous les deux ou trois ans" ou encore moins régulièrement que cela). Selon le rapport des inspections générales des finances et des affaires sociales (IGF-Igas) sur les microcrèches, paru le 24 mars 2024 (consultable ici), la moyenne est de 55 contrôles par an (environ un tous les deux ans pour les microcrèches et un tous les cinq ans pour les autres EAJE), ce qui cacherait de "fortes disparités" (moins de 10 contrôles annuels pour un tiers des PMI, aucun contrôle dans quatre départements).
"La multiplication des structures de petite taille [les microcrèches, ndlr] prend beaucoup de temps aux équipes", souligne Agnès Lacassie-Dechosal, médecin de PMI en Haute-Savoie. Instruction des dossiers et suivi de l’ouverture du lieu d’accueil, temps de déplacement, multiplication des incidents… les représentants du SNMPMI déplorent le fait qu’il leur reste peu de temps pour l’accompagnement des structures et la création d’un "lien de confiance" avec les équipes des EAJE, en particulier concernant les lieux d’accueil les plus récemment installés.
"Le contrôle est nécessaire mais il doit intervenir dans un second temps, quand le mécanisme de prévention est opérationnel", estime Florence Dabin, présidente du conseil départemental de Maine-et-Loire et vice-présidente de Départements de France, auditionnée également le 26 mars. L’élue juge "fort regrettable" que la PMI soit d’abord associée au contrôle, "alors qu’il y a tout ce travail de prévention et d’accompagnement des professionnels et des parents". Son département a fait le choix de créer dix ETP (équivalent temps plein) pour la prévention ; un seul ETP est dédié au contrôle des 250 structures d’accueil du territoire. Sur ces deux volets – prévention et contrôle -, la présidente de département explique être confrontée à de grandes difficultés de recrutement.
Des services "à géométrie variable" selon les départements
"Nous avons un besoin crucial d’avoir des professionnels", insiste la vice-présidente de Départements de France. Le manque de moyens humains explique "une part importante des difficultés", abonde Pierre Suesser, coprésident du SNMPMI, citant la baisse de 25% du nombre de médecins de PMI entre 2010 et 2019 et d’autres chiffres issus du rapport Peyron de 2019 (voir notre article).
Ces moyens sont aujourd’hui très différents d’un département à l’autre et l’enquête parlementaire en cours vise notamment à faire remonter des données pour y voir plus clair. Les services de PMI sont "à géométrie variable", en fonction du territoire mais aussi d’un "arbitrage politique" qui peut être lié à des "appétences personnelles", admet Florence Dabin. La présidente de département pointe par ailleurs l’importance du partenariat avec les services de l’État exerçant également des contrôles – confrontés eux aussi à un manque de personnel, mais aussi de "technicité" et de "connaissances liées à la pratique" - et avec les caisses d’allocations familiales (CAF). Des relations "très différentes selon les territoires".
En Haute-Savoie, un partenariat expérimental entre le département et la CAF a permis de décharger l’équipe de PMI de l’instruction des dossiers de création, mission qui représente bien 50% du temps de travail de contrôle, selon Agnès Lacassie-Dechosal. "Nous avons pu gagner en temps d’accompagnement", souligne-t-elle. Le partenariat avec la CAF donne en outre accès à des données – le taux de remplissage de la structure, d’éventuelles difficultés financières – qui sont importantes dans le contrôle de la qualité d’accueil. "Nous avons ainsi constaté que, dans certaines structures, il n’y avait plus de livraison de repas", les professionnelles devant alors s’occuper elles-mêmes des courses, illustre le médecin. Pour ces contrôles, "il faut des équipes de plus en plus formées, bien au courant de la législation et très réactives", ajoute-t-elle, mentionnant des procédures au tribunal administratif.
La question des suites des contrôles est posée dans le rapport de l’Igas : en cas de manquement, le cadre actuel prévoit des "injonctions", jugées "peu efficaces", et des fermetures provisoires ou définitives qui seraient "peu mises en œuvre". La loi pour le plein emploi du 18 décembre 2023 vient de compléter cet arsenal en permettant au président de département ou au préfet de prononcer des sanctions financières ou encore d’afficher l’injonction à l’entrée des locaux.
Sans travail sur la qualité, renforcer le contrôle est "comme essayer de vider l’océan à la petite cuillère"
S’ils témoignent du fait que les contrôles exercés par les PMI sont dans certains départements très complets, en abordant, outre les aspects liés au bâtiment et l’hygiène, le projet éducatif et les pratiques professionnelles, les représentants du SNMPMI souscrivent à la nécessité d’harmoniser les contrôles via un référentiel national. L’Igas a été chargée d’élaborer des référentiels qualité dans les modes d’accueil et un guide de contrôle (voir notre article).
"Le taux d'encadrement doit évoluer vers le meilleur standard possible", plaide le syndicat dans une contribution à ce travail de référentiel publiée en novembre 2023. Pour le SNMPMI, le renforcement des moyens de contrôle est nécessaire, mais pas suffisant. "Si c’est dans un environnement totalement dégradé, c’est comme essayer de vider l’océan à la petite cuillère", pour Pierre Suesser. Le médecin estime que la France est très en retard sur l’amélioration des taux d’encadrement.
Ce référentiel national doit permettre d’"être plus exigeant", juge également Florence Dabin, indiquant qu’une trop grande "latitude" peut conduire à des dérives ou encore à des négligences sur la question de la formation. La ministre de l’Enfance, Sarah El Haïry, promet d’aller vers une "convergence du cadre réglementaire des microcrèches vers les petites crèches". Également présidente du groupement d’intérêt public (GIP) France enfance protégée, Florence Dabin devra prochainement rendre le rapport de la mission, qui lui a été confiée par le gouvernement, sur l’amélioration du circuit de signalement des situations de maltraitance dans les modes d’accueil du jeune enfant.
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