Ce n'est certes pas l'article le plus contesté du projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, adopté par l'Assemblée nationale en dernière lecture le 20 septembre (sans vote pour cause de nouveau recours à l'article 49-3). Pourtant, l'article 2 ouvre à nouveau une question de société qui a donné lieu à de nombreux débats et polémiques dans une période récente.
Des restrictions autorisées si proportionnées
L'article 2 prévoit en effet que le règlement intérieur d'une entreprise "peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché".
L'article couvre l'ensemble des entreprises privées, mais son origine répond à un contexte et à une cible bien précis : ceux de l'affaire de la crèche privée Baby Loup et de ses suites (voir nos articles ci-contre). L'article en question est d'ailleurs issu d'un amendement de Françoise Laborde, sénatrice (Radicale, groupe RDSE) de la Haute-Garonne. Celle-ci n'est autre que l'auteur de la proposition de loi "visant à étendre l'obligation de neutralité aux structures privées en charge de la petite enfance et à assurer le respect du principe de laïcité".
La proposition de loi a été adoptée en première lecture au Sénat, le 17 janvier 2012. Après diverses péripéties, l'Assemblée nationale a finalement adopté à son tour en première lecture, le 13 mai 2015, dans une version toutefois très allégée, l'obligation de neutralité étant finalement cantonnée aux seules crèches privées et laissant de côté les assistantes maternelles, les centres de loisirs et autres accueils de mineurs avec ou sans hébergement (voir notre article ci-contre du 19 mai 2015). Depuis lors, la proposition de loi est restée au point mort, en attente d'une inscription à l'ordre du jour et d'une hypothétique seconde lecture.
La polémique reprend sur un texte à l'avenir incertain
Comme on pouvait s'y attendre, l'adoption de la loi Travail et de son article 2 n'a pas manqué de relancer le débat... et la polémique. Dans un communiqué commun du 19 juillet, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) et l'Observatoire de la laïcité '"demandent le retrait" de l'article en question (ce qui semble au demeurant un peu tard).
Les deux instances estiment en effet que cette disposition "crée une insécurité juridique pour les employeurs, dans la mesure où les tribunaux en auront des interprétations différentes". Elles craignent aussi que cet article ouvre "la possibilité d'une restriction de portée générale et comporte le risque d'interdits absolus et sans justification objective à l'encontre des salariés, en visant par ailleurs toutes leurs convictions, qu'elles soient syndicales, politiques ou religieuses. En ce sens, cet article s'oppose au principe de laïcité, ouvre la voie à d'éventuelles discriminations et, en retour, au développement d'entreprises communautaires". Ce dernier point fait allusion au fait que le voile - ou d'autres signes religieux - resteraient autorisés dans des crèches (ou des entreprises) à la vocation confessionnelle affichée.
Faute de viser ouvertement la question de la laïcité, la rédaction très générale de l'article 2 est effectivement assez maladroite et pourrait susciter également des réactions de la part des organisations syndicales. Ceci rend le texte juridiquement fragile et on peut s'interroger sur l'avenir de cette disposition. Un recours en Conseil constitutionnel sur le projet de loi travail étant plus que probable, il faudra d'abord franchir ce premier obstacle (le Conseil pouvant se saisir de l'article même s'il n'est pas cité dans le recours).
Le texte pourrait ensuite faire l'objet d'un recours contre la France devant la Cour européenne des droits de l'homme, très sensible à ce sujet. Enfin, à supposer que l'article surmonte ces deux obstacles, il restera encore à préciser les modalités d'application. Le débat sur la laïcité dans les entreprises privées - et plus particulièrement dans les établissements privés d'accueil de la petite enfance - est donc encore loin d'être clos.
Jean-Noël Escudié / PCA
Références : article 2 du projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (adopté sans vote en dernière lecture par l'assemblée nationale le 20 juillet 2016).
ncG1vNJzZmivp6x7o63NqqyenJWowaa%2B0aKrqKGimsBvstFoo5qhk57BpnnLmmSlp5liwbOt1ZqgpWWRqsGwvsisnGaklah6s7HSramim6SevK%2B%2FjJqsZqifp8FusNRmraihnJp6pa3NrGSlnaNisLOxwqGcrGWgp7a3scSs