12,1 millions de personnes sont, aujourd'hui, en France métropolitaine, "fragilisées par rapport au logement". C'est l'expression employée par la fondation Abbé-Pierre pour désigner les personnes dont les conditions de logement sont si fragiles que le plus petit accident de vie peut les contraindre à demander l'hospitalité chez un parent ou un ami, à emménager dans un logement sans eau courante, à payer chaque soir une chambre d'hôtel ou à dormir à la rue. Il y a ainsi 3,8 millions de personnes mal logées, selon la fondation (*). C'est la triste statistique que l'on retiendra parmi les dizaines de "chiffres du mal-logement en France" exposés le 17 décembre. Des chiffres issus des résultats de l'enquête nationale Logement de l'Insee réalisée en 2013-2014.
Un seul indicateur réjouissant… et encore
Quasiment tous les indicateurs sont négatifs. Un seul affiche un bon résultat, celui du "confort sanitaire de base". Entre 2006 et 2013, le nombre de personnes vivant dans des logements privés d'eau courante, de douche et de WC intérieurs est passé de 561.000 à 332.000, soit une baisse de 41% en 7 ans. Ces logements hors normes ne concernent plus désormais que 0,7% du parc total (205.000 logements).
Mais combien de locataires n'ont plus été en capacité de payer leur loyer lorsque celui-ci a augmenté suite à la mise aux normes sanitaires de leur logement ? Combien, qui vivaient certes dans "l'inconfort sanitaire de base" mais avec un toit solide sur la tête, vivent aujourd'hui dans une "habitation de fortune" ou autre "cabane", passant d'un mal-logement à un autre plus précaire encore ? La fondation Abbé-Pierre ne mesure pas encore ce jeu de chaise musical, mais entend enquêter sur la question.
En tout, il y a en France 2 millions de personnes vivant dans un logement "sans confort", c'est à dire qui n'a pas d'eau courante, ou pas de douche, ou pas de WC intérieur, ou pas de coin cuisine, ou pas de chauffage, ou dont la façade est très dégradée. Ces 2 millions représentent la majorité des 3,8 millions de mal-logés.
Le surpeuplement a augmenté de manière inédite
Les autres personnes mal-logées sont : les personnes sans domicile (141.500 en 2012, soit +50% depuis 2001), celles se payant chaque soir une chambre d'hôtel (25.000), celles vivant dans des "habitations de fortune" (85.000), celles vivant en hébergement "contraint" chez des tiers (643.000, dont les "Tanguy", voir notre article ci-contre), celles vivant dans des logements très surpeuplés (934.000 personnes vivent en surpeuplement "accentué", c'est-à-dire qu'il manque deux pièces pour vivre décemment, soit 218.000 ménages, +17% entre 2006 et 2013).
"Entre 2006 et 2013, le surpeuplement a augmenté de manière inédite", insiste la fondation, avec des conséquences sur la vie de famille, la scolarité des enfants et la santé. On assisterait à "un changement de tendance historique", car jusqu'ici le taux de surpeuplement des ménages baissait de manière régulière et rapide, passant de 16,5% en 1984 à 8,4% en 2006. "Pour la première fois, sous l'effet de la crise du logement, cette tendance s'inverse", s'inquiète la fondation, avec un nombre de ménages en surpeuplement "accentué" qui a crû de 17% France entière et de 25% en Ile-de-France (passant de 109.000 à 136.000 ménages entre 2006 et 2013). Les ménages en surpeuplement "modéré" (lorsqu'il manque une pièce pour vivre décemment) a augmenté quant à lui d'environ 6%.
5,7 millions de personnes en situation d'effort financier excessif
4,3 millions de personnes modestes sont en situation de surpeuplement "modéré" et font partie de ces 12,1 millions de personnes que la fondation considère "fragilisées par rapport au logement".
Elle y comptabilise aussi les 5,7 millions de personnes en situation d'effort financier excessif. Ce sont ceux dont le taux d'effort pour payer leur logement est supérieur à 35% et leur laisse un reste à vivre inférieur à 650 euros par mois et par unité de consommation. Autrement dit : ceux qui "basculent sous le seuil de pauvreté à cause du logement", traduit Christophe Robert, délégué général de la Fondation. Ils sont, en 2013, 42% de plus qu'en 2006. "Cette dégradation très nette de la situation des ménages à bas revenus et à dépenses de logement élevées reflète deux tendances inquiétantes des années 2000 : la hausse des prix à l'achat et à la location des logements et des charges et la précarisation des couches populaires, en particulier depuis la crise économique de 2008", commente la fondation.
+17% de propriétaires en impayés de remboursement d'emprunt ou de charges
Le nombre de ménages propriétaires en impayés de remboursement d'emprunt ou de charges est ainsi passé de 70.000 à 82.000 (+ 17%), soit 1,2 million de personnes. Et ceux qui ont indiqué avoir eu, au cours des 24 mois précédant l'enquête, des difficultés à payer leur remboursement d'emprunt et leurs charges sont passés de 555.000 ménages en 2006 à 782.000 en 2013 (soit 2,3 millions de personnes), soit une hausse de 41% en sept ans.
La fondation compte aussi, parmi les "fragilisés", les 3,5 millions de personnes modestes ayant eu froid pour des raisons liés à la précarité énergétique, c'est-à-dire pour cause de privations financières, de logement mal isolé ou de logement mal chauffé. Elle compte enfin les 1,2 millions de personnes en impayés de loyer ou de charges (+2% entre 2006 et 2013 en moyenne, mais +23% en Ile-de-France), et les 1,1 million de propriétaires occupant un logement dans une copropriété en difficulté (+8%).
Ces "chiffres" sont extraits du traditionnel rapport annuel sur "l'état du mal-logement en France" que la fondation Abbé-Pierre rendra public dans son intégralité le 28 janvier prochain. Un chapitre sera consacré à la ségrégation territoriale et un autre aux conséquences du mal-logement sur la santé. Un point sera également établi sur l'évaluation des politiques publiques, dans leur capacité à répondre à l'urgence du mal-logement et à prévenir les phénomènes d'exclusion pour les 12,1 millions de personnes "fragilisées par rapport au logement".
Valérie Liquet
(*) L'année dernière, la fondation Abbé-Pierre annonçait 3,5 millions de mal-logés. Il n'est toutefois pas possible de comparer ce chiffre aux 3,8 millions de cette année, et d'en conclure que la France métropolitaine compte 300.000 personnes mal-logées supplémentaires en un an. En effet, les questions de l'enquête nationale Logement 2006 de l'Insee ne sont pas les mêmes que celles de 2013, et "nos propres critères de mal-logement évoluent, intégrant des problèmes, comme la précarité énergétique ou l'effort financier excessif, qui n'étaient pas comptabilisés jusqu'ici", explique la fondation. En revanche, il est possible de comparer les évolutions sur des sujets précis (absence de confort sanitaire, nombre de personnes sans domicile, etc.).
Une foncière de la Caisse des Dépôts dédiée à l'achat de terrains publics ?
"Cela ne peut pas continuer comme ça !", a réagi Marie-Noëlle Lienemann à la lecture des derniers "chiffres du mal-logement" de la Fondation Abbé Pierre. La sénatrice (PS) de Paris et ancienne ministre du logement appelle à un "sursaut" de la politique nationale, via "un plan d'action d'urgence avec des moyens renforcés". Elle souffle quelques idées, comme celle de l'achat de "tous les terrains publics" (administrations, Etat, entreprises publiques) par la Caisse des Dépôts, à l'aide d'une foncière dédiée. Dans son esprit, ces terrains seraient "immédiatement" mis à disposition des collectivités ou des organismes HLM en vue de construire massivement du logement abordable, en utilisant le dispositif de décote introduit dans la loi Duflot 1.
V.L.
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